mercredi 14 novembre 2018

"Le nain", par Yahya Haqqî

Né au Caire dans le quartier populaire de Sayyada Zaynab, Yahya Haqqî (7 janvier 1905 - 9 décembre 1992) devient, après ses études de droit, diplomate, haut fonctionnaire au ministère de l'Éducation, à la Bibliothèque nationale du Caire, puis rédacteur en chef de la revue “al-Majalla” (1962-1970). 

On lui doit des romans et des nouvelles qui décrivent les contrastes entre l'Orient et l'Occident (La Lampe d'Oum Hashim, 1944), ainsi que les mœurs des milieux populaires égyptiens.
Il est aussi l'auteur d'une autobiographie (Khallîhâ 'alâ Allâh, 1959) et de très nombreux essais critiques.
Dans son chef-d'œuvre “La Lampe d'Oum Hashim” (Qandīl Umm Hashim), Yahya Haqqī découvre tout jeune le peuple, sa misère, sa générosité…
Témoin attentif de la civilisation occidentale et grand admirateur du roman français, il s'intéresse particulièrement aux rapports entre l'Europe et le monde arabo-musulman, thème qu'il n'a cessé d'aborder dans son œuvre, notamment dans “Un Égyptien à Paris” (Haqibah fī yad musāfir), paru en 1969.
Titulaire du prix d'État pour la littérature en 1968, Yahya Haqqî est considéré comme l'un des maîtres des lettres arabes contemporaines.


Le texte que je propose ici est extrait du recueil "Bon réveil".
Quelque part en Égypte... un petit village sans nom, qui ignore jusqu'à la fumée des trains ! La vie s'y déroule paisible, faite de mille riens, semblable à elle-même, jusqu'au moment où l'"oustaz"" fera une apparition remarquée... À l'affût derrière l'arsenal de son art minutieusement mis en place, un sourire bonhomme au coin de la lèvre, l’œil pétillant d'un rien de malice, l'auteur nous croque sur le vif certains personnages de ce petit village, tout en épiant la moindre pulsation de son propre cœur.
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Le nain

Je fus interrompu dans mes réflexions par une voix forte et avinée qui provenait du comptoir :

- Une tournée générale de bière ! C'est moi qui paye ! Profitez-en, car l'occasion ne se représentera peut-être pas de si tôt !

Cette générosité d'ivrogne provoqua un sourire dans toute l'assemblée, mais nous continuâmes pour la plupart à parler et à boire, sans prêter attention à l'invitation qui nous était faite.
Nous le connaissions tous. Il nous réservait la même scène une fois tous les deux ou trois mois. Nous savions comment cela commençait et comment cela finissait, immanquablement. Mais les sourires se transformèrent rapidement en hilarité générale. Tous s'étaient retournés vers le comptoir pour observer ce qui se passait : un homme de petite taille - un nain, ou presque !- gesticulait, tirait le patron de la taverne par la manche et se cramponnait à certains clients qui déclinaient son offre - "voyons, vous exagérez !"- mais qui, en fait, avaient bien envie de profiter de l'aubaine en répondant à la générosité de cet homme qui les attirait vers le bar. Cela représentait pour lui un gros effort, mais pas pour eux ! Il leur jurait ses grands dieux qu'ils boiraient et il interpellait l'assistance :

- Si vous refusez, vous ne me reverrez plus parmi vous !

Nous réalisions à ces menaces combien il nous aimait. À ses yeux, une rupture entre nous aurait été la plus grande des calamités, à la fois pour lui et pour nous. Certains autour de lui commencèrent alors à se montrer un peu moins réticents. Ils lui tapaient sur l'épaule :

- Ne vous fâchez pas, voyons ! du calme ! 


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